Pieve de Tavagna, d’après le Plan terrier rouleaux 11 et 14(1/50000).

Carte extraite d’une publication du CRDP sur les cahiers de doléance.

a)     Description.

La Tavagna ou canton de Peru-Casivechje est situé à une quarantaine de kilomètres au Sud de Bastia, entre les rivières du Fium’altu et Canapaghju. La première la délimite au nord et la sépare de la Casinca ou canton de Viscuvatu. La seconde la distingue de Muriani ou canton de Santu Niculaiu.

A l’Est, c’est la mer Tyrrhenienne qui la limite, en face des îles d’Elbe, de Pianosa et de Monte Cristu.

A l’Ouest, c’est une longue chaîne de montagnes secondaires qui s’élève en amphithéâtre jusqu’à 1183 m à Petra Ghjusta. C’est sur cette chaîne aussi que se trouve l’antique chapelle de San Bertuli perchée à 1000 m est qui est l’un des rares édifices religieux de l’île à être placé sous ce vocable. Cette chaîne la distingue des cantons d’Ampugnani ou de La Porta et d’Orezza ou Pedicroce.

Voyons ce qu’en dit Renucci FO dans ses «Memorie »[1] (1833):

« Les montagnes de Tavagna sont couvertes de fougères, de bruyère, d’aulnes et d’arbousiers. Les terres y sont toutes cultivées et le paysan en retire 40, 30, 20 et au moins 12 pour 1 en les ensemençant (…)

La Tavagna est constituée de 5 communes peu distantes les unes des autres. Elles sont toutes couronnées de jardins verdoyants et de champs cultivés et bien clôturés (…)

De petits villages enchanteurs, de romantiques panoramas s’offrent de tous côtés aux regards du voyageur. Ruisseaux, torrents et fontaines d’eau vive et très pure les irriguent de partout (…)

D’innombrables et riantes collines dont la pente contraste avec les montagnes opposées sont couvertes de vignobles et d’arbres fruitiers de toutes sortes. On voit le myrte, le genévrier, le buis et le lentisque parsemés en grand désordre.

D’immenses et profondes vallées toutes riches de châtaigniers, d’oliviers et de noisetiers se succèdent et s’entrecoupent sur tout le territoire du canton.

Le long du littoral, une plaine peu étendue mais composée de terres propices aux blés fournit avec les enclos situés autour des villages une production annuelle de céréales suffisante pour nourrir les habitants et qui permet quand même une certaine exportation.

En somme, on peut dire sans aucune exagération que la Tavagna regorge de châtaignes, de froment, d’huile, de légumes, de lin (il passe pour le meilleur de Corse), de chanvre, de fruits de toutes sortes et particulièrement de pommes, produit qu’elle exporte et qu’elle fait commerce. Si j’ajoutais qu’il n’y existe et qu’on n’y voit aucun mendiant, à moins qu’il ne soit étranger, je ne farderais certainement en aucune manière la vérité. »

Après cette description «idyllique» et quoi qu’en dise l’auteur plutôt chauvine, voyons à présent les sept communautés de Tavagna, telles que les ont décrites les ingénieurs du plan terrier en 1774.

b)     Les communautés qui la composent.

Communauté de :

Talasani : Le village de Talasani est situé en bon air. Il est le plus beau et le plus considérable de la Pieve. Il est constitué de 396 habitants.

Peru : Ce village est le plus grand, le plus peuplé et le plus agréable de la Tavagna. Il a de l’eau en abondance et d’excellents jardins. Il compte 278 habitants.

Casivechje : Le village est très pauvre. Il contient 120 habitants. L’air y est bon mais les eaux y sont rares.

Tagliu : Le roi Théodore à fait sa résidence dans ce village qui n’a rien de remarquable que sa situation agréable au levant. Il compte 278 habitants qui n’ont d’autres ressources que leurs châtaigniers.

Isolaccia : Ce village est bien situé, l’air y est bon. Il y a peu d’eau et point de grandeur. Il contient 205 habitants. Leur occupation est la culture. Ils ont du goût pour la chasse et le militaire.

U Poghju : Le village de Renosu est situé sur une éminence et est en très bon air. Il est composé de 85 habitants. Le village de Mezana est bien situé en bon air, il contient 92 habitants. Le village de Poghju, quoi qu’un peu enfoncé, est cependant en bon air. Il contient 267 habitants. Le village de Pianella est en meilleur air que le précédent, il contient 90 habitants.

Ornetu : Le village de Villone est bien situé et s’agrandit tous les jours. Il contient 122 habitants. Le village d’Inelaccia est en partie ruiné, il contient 27 habitants. Le village de Carbonaccia est assez bien situé, il y contient 122 habitants. Le village d’Ornetu est bien situé et contient 128 habitants.

Nous pouvons rajouter à cette liste la communauté de Fiuminale qui vit à l’époque ses dernières années dans la Pieve de Moriani. En effet, elle sera avant 1800 rattachée à la commune de Vilone Ornetu et donc à la Tavagna. Voici ce qu’en ont dit les observateurs du plan terrier.

Fiuminale (Supranu et Suttanu) : Les villages sont mal situés. Ils contiennent 184 habitants dont la plupart sont des bergers.

Dans cette description, il est accordé une place importante à l’exposition des villages et à la qualité de leur air. En effet, du fait de sa situation sur la côte orientale, la Tavagna doit subir les ravages de la Malaria. De plus il existe sur la commune de Talasani, dans sa partie littorale deux petits étangs appelés «Stagnoli». Mais fort heureusement, les villages de Tavagna se situent tous au-dessus de 300 m d’altitude, ce qui les met à l’abri de ce fléau.

II La Tavagna et l’Histoire.

Petit historique de la Pieve (non exhaustif). Tout d’abord, nous nous devons de définir ce qu’est une Pieve.

1°) L’origine des Pievi.

C’est un mot ambigu. C’est à la fois une circonscription religieuse et le cadre de la vie quotidienne. Les origines du terme remontent aux premiers temps de la chrétienté dans l’île, c’est à dire dans le courant du IV^e siècle. Ce sont à l’origine des paroisses primitives. Elles furent établies à raison d’une église par vallée. Le mot Pieve vient du latin PLEB, c’est à dire la population de la vallée. L’église pievanne est en général bâtie sur un carrefour important.

a)     La Pieve de Tavagna et son église Piuvana.

En ce qui nous concerne, l’église pievanne est bâtie sur une sorte de petit col, au carrefour des routes allant vers Poghju Mezana, Talasani, Ornetu et vers la Pieve de Moriani. Elle est placée sous le vocable de saint Jean Baptiste que l’on célèbre le 29 août (décollation de S^t Jean Baptiste). L’édifice actuel est daté du XV^e siècle mais il doit vraisemblablement succéder à un édifice plus ancien aujourd’hui disparu.

Eglise pievane S^t jean Baptiste (XV^e siècle) Au centre, chapelle S^te Croix aujourd’hui disparue.

De gauche à droite, en arrière plan, les villages d’Ornetu, Carbunaccia

et Innelaccia (aujourd’hui ruiné) (collection personnelle).

Il y avait à la tête de chaque Pieve, un prêtre dit u Piuvanu qui avait autorité sur les autres prêtres de la circonscription. Le pievan le plus célèbre de Tavagna, fut à la fin du XVIII^e siècle, Louis Sebastiani, qui exerça aussi la fonction de curé de Poghju Mezana. Il était l’oncle du maréchal d’empire Horace Sebastiani, tous deux de la porta d’Ampugnani. Grâce à l’amitié qui liait le maréchal et l’empereur, notre Pievan, devint le 14 avril 1802 le premier évêque de la Corse entière quand Pie VII par sa bulle du 28 novembre 1801 supprima tous les évêchés de l’île sauf celui d’Ajaccio. Il fut lui-même crée baron d’empire en 1810. Il demeura évêque jusqu’à sa mort en 1831.

Mais revenons en aux Pievi. On estime leur nombre au cours du moyen âge à 90 d’après M^me Moracchini Mazel. Les églises Pievannes étaient comme les succursales des cathédrales.

Il y avait deux privilèges qui y étaient attachés :

-         Le privilège baptismal : tous les baptêmes s’y déroulaient.

-         Le privilège cimeteral : tous les enterrements s’y déroulaient, les sépultures également étaient situées à l’intérieur de l’édifice, il y en avait deux sortes.

 Les laïcs étaient ensevelis dans l’arca, sorte de fosse commune située dans les sous-sols de l’église. Le clergé était enseveli face au maître autel en témoignage la plaque funéraire datée de 1633 dans notre cas.

L’église pievanne était aussi le lieu de célébration de pâques et du saint patron de la Pieve qui souvent était saint Jean Baptiste.

Cette organisation est demeurée presque inchangée durant tout le moyen âge et ce, jusqu’aux environs du XVI^e siècle. Les églises pievannes furent alors presque abandonnées au profit des paroissiales.

2°) Les temps anciens à 1729.

a)     Les premiers écrits et le début du christianisme.

L’un des textes mentionnant pour la première fois la Tavagna serait selon l’historien Limperani un manuscrit de la bibliothèque du Vatican. Il traiterait de la ville épiscopale de Tanate ou Tanaten ce qui fait penser à cet historien que l’orthographe ayant été altéré, on pourrait l’interpréter pour Civitas Tavanenesis au lieu de Tanatensis, ce qui indiquerait Tavagna. La cité aurait été située à l’embouchure du Fiumaltu[2]. Cet évêché fut donc détruit par Totila, roi des Goths. En 591, Martin, évêque des Tavinates est transféré à Aleria par le pape S^t Grégoire I^er [3].

C’est également du VI^e siècle que date, selon M^me Moracchini Mazel, l’antique chapelle San Petru, située sur la commune de Talasani et en cours de restauration après des siècles d’abandon. Elle servait d’église paroissiale pour les hameaux aujourd’hui ruinés de Prignani et Pughjulella. Elle fut à l’origine d’une «Monacchia» qui relevait de l’abbaye bénédictine de Monte Cristo. Elle fut plus tard, au XIII^e siècle, confiée aux «Camaldules» de Pise.

San Petru de Prigniani en 1952 collection privée.